Editorial: du palais à la prison

L’éternel piège des transitions politiques en Afrique

La condamnation à mort de l’ancien président de la République Démocratique du Congo, Joseph Kabila, par un tribunal militaire de Kinshasa, a fait l’effet d’une bombe sur la scène politique africaine. Que l’on soit favorable ou non à l’homme, le verdict soulève une question troublante : pourquoi tant d’ex-chefs d’État africains, parfois remplacés par des successeurs issus de leur propre camp, finissent-ils traduits en justice, condamnés ou exilés ?

L’exemple congolais n’est pas isolé. En Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz, artisan d’une alternance apparemment maîtrisée, a été condamné en appel à quinze ans de prison pour enrichissement illicite, sous la présidence de Mohamed Ould Ghazouani, son ancien allié. En Angola, Joao Lourenço, dauphin du tout-puissant José Eduardo dos Santos, a lancé une vaste purge anticorruption qui a conduit le fils de son prédécesseur, José Filomeno, en prison avant une grâce présidentielle. En Gambie, l’ombre de Yahya Jammeh plane toujours : la commission vérité a recommandé qu’il soit jugé pour des crimes graves, bien qu’il vive pour l’instant en exil.

Ces situations révèlent une contradiction profonde dans la politique africaine contemporaine. D’un côté, de nombreux dirigeants rechignent à céder le pouvoir, craignant que l’alternance ne devienne le déclencheur de poursuites judiciaires. De l’autre, leurs successeurs, soucieux d’asseoir leur légitimité et de se démarquer, utilisent la justice pour solder le passé et affaiblir l’influence résiduelle de leurs prédécesseurs.

Il serait réducteur de voir dans ces procès de simples règlements de comptes politiques. Certains dossiers sont réels et documentés : détournements massifs de fonds, violations des droits humains, enrichissements illicites. L’exigence de reddition de comptes est légitime et répond au cri de justice des populations. Mais là où le bât blesse, c’est dans la manière. Les institutions judiciaires, souvent fragiles et politisées, manquent de crédibilité. Dès lors, la justice se confond avec la vengeance, et la vérité se brouille dans le jeu des rivalités de pouvoir.

Ce qui se joue, au fond, c’est le rapport au pouvoir en Afrique. Tant que les présidents considéreront la fonction suprême comme une propriété personnelle ou une forteresse à défendre coûte que coûte, l’alternance sera vécue comme une menace existentielle. Tant que les successeurs utiliseront la justice comme une arme politique, l’alternance sera perçue comme un champ de bataille, et non comme un mécanisme sain de respiration démocratique.

Pour briser ce cercle vicieux, deux conditions sont nécessaires : d’abord, une véritable indépendance de la justice, capable de juger les dirigeants passés et présents avec équité, sans instrumentalisation ; ensuite, une nouvelle culture politique, où l’alternance ne signifie pas condamnation systématique, mais reddition de comptes dans le respect de la vérité et des droits fondamentaux.

Les peuples africains aspirent à la justice, mais aussi à la stabilité. Ils ne veulent plus que la sortie d’un président rime avec procès spectacle, exil forcé ou exécution symbolique. L’Afrique gagnera le pari de la démocratie le jour où l’alternance cessera d’être une tragédie et deviendra un processus normal, apaisé et fécond. Fin

Kokotiko

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