
L’histoire politique de la Guinée-Bissau est un laboratoire permanent de crises, de ruptures institutionnelles et de transitions inachevées. L’ascension du Président Umaro Sissoco Embaló, en 2020, avait pourtant suscité un réel souffle d’espérance. Sa prise de fonction s’inscrivait dans une séquence où il se présentait comme l’homme du retour à l’ordre, celui qui dénonçait avec fermeté les coups d’État constitutionnels dans la sous-région et promettait de restaurer la gouvernance, la discipline institutionnelle et la stabilité. Pour une population lassée d’instabilité chronique, ce ton direct et cette posture anti-putschistes représentaient une bouffée d’air. Pourtant, quatre ans plus tard, les événements récents révèlent un paradoxe saisissant : celui qui se voulait gardien de la République a fini par être emporté par les turbulences qu’il prétendait juguler.
Élu lors d’un scrutin contesté, Embaló avait proclamé sa victoire avant même la certification définitive de la Cour suprême, dans un contexte de bras de fer entre exécutif, Parlement et armée. Malgré ce démarrage chaotique, il bénéficiait d’un capital politique considérable. Il incarnait le renouveau, portait un discours ferme contre la manipulation des lois électorales et contre les régimes qui se prolongent indéfiniment par des artifices constitutionnels. Mais très vite, les signaux se sont dégradés. Concentration du pouvoir, tensions répétées avec le Parlement, dissolutions controversées, interférences dans l’appareil judiciaire, gestion personnelle de la sécurité nationale : la méthode Embaló a progressivement fragilisé les équilibres institutionnels. Celui qui dénonçait les glissements autoritaires a, selon beaucoup d’observateurs, reproduit des logiques similaires, contribuant à polariser davantage un pays déjà fragile.
La récidive des dissolutions parlementaires, les conflits persistants avec la majorité, l’accusation récurrente de tentative de coup d’État contre ses opposants et les dérives dans la gestion sécuritaire ont installé un climat d’incertitude. La Guinée-Bissau, au lieu de sortir de son cycle d’instabilité, s’y est enfoncée à nouveau. Le coup de force qui l’a finalement mis en difficulté ne peut donc être analysé comme un événement isolé. Il résulte d’une accumulation de fragilités : institutions jamais consolidées, politisation extrême des forces armées, tension permanente entre président, Premier ministre et Parlement, gouvernance fondée sur la confrontation, dérives autoritaires qui ont aliéné une partie des élites politiques. Embaló n’a pas seulement été renversé par ses adversaires, il a été rattrapé par les failles du système qu’il n’a pas su réparer.
La crise bissau-guinéenne s’inscrit dans un contexte plus large de recul démocratique en Afrique de l’Ouest. Ces dernières années, la CEDEAO a enregistré une succession de ruptures institutionnelles : coups d’État militaires au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger ; coups d’État constitutionnels en Côte d’Ivoire, au Togo, en Guinée-Bissau ; affaiblissement des contre-pouvoirs et manipulation des lois électorales ; perte de crédibilité des institutions régionales. La CEDEAO, autrefois référence en matière de défense de la démocratie, peine désormais à imposer son autorité. Ses condamnations sont sélectives, ses positions incohérentes, et sa capacité d’anticipation très limitée. Les peuples, désabusés, ne voient plus en elle un rempart crédible contre les dérives internes.
Pour éviter que de nouveaux Embaló « emballés » ne se multiplient, plusieurs pistes s’imposent. Les États doivent renforcer leurs institutions plutôt que s’en remettre à des personnalités fortes. La séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la neutralité des forces armées doivent redevenir des lignes essentielles. La CEDEAO doit réformer ses mécanismes de gouvernance et clarifier ses lignes rouges, en sanctionnant aussi bien les coups d’État militaires que les manipulations constitutionnelles. Les transitions politiques doivent être réformistes, limitées et neutres, afin d’éviter la reproduction des crises. Enfin, il faut redonner la parole aux populations : la démocratie ne se limite pas à des élections, elle suppose une participation citoyenne réelle, des consultations nationales et une société civile active.
Embaló avait promis d’être le président du changement, celui qui tournerait le dos aux logiques de crise. Mais la gouvernance solitaire, les tensions répétées et l’incapacité à stabiliser le jeu institutionnel l’ont progressivement piégé. Dans une région où le vent souffle contre la démocratie, le cas bissau-guinéen rappelle que la stabilité politique ne peut reposer sur la seule volonté d’un leader, mais sur des institutions fortes, un leadership mesuré et la préservation constante de la légitimité démocratique. Fin
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